Les défis digitaux pour la France du XXIème siècle

Pour concurrencer les titans du numérique américains et chinois, quatre enjeux majeurs s’imposent à
l’Europe: permettre aux licornes européennes de passer à l’échelle, attirer les entreprises étrangères de la
Tech, aider les entreprises européennes à opérer la transition digitale, investir dans les talents.
Or l’Europe est aujourd’hui en retard : selon le cabinet CB Insights, 12 % seulement des licornes de la Tech
sont européennes – la France n’a que 7 licornes en octobre 2020. Pourtant, l’Europe compte un grand nombre
de start-up – la France en compte environ 10 000 sur son territoire.

Le baromètre du MEDEF construit par le BCG soulignait en 2019 que la France est dans le peloton
international sur quasiment toutes les dimensions qui font l’excellence digitale (talents, infrastructures,
politiques, accès aux données, cybersécurité). Plus précisément:

  • La qualité de la formation des talents digitaux, avec notamment l’excellence des formations scientifiques,
    permet à la France de se situer entre la 6ème et la 7ème position des principaux classements mondiaux;
  • Les incitations à la recherche sont fortes, avec 20 % de la R & D des entreprises soutenue indirectement
    par le gouvernement;
  • La mise à disposition des données publiques: selon l’OCDE, la France se classe en deuxième position quant à l’accès aux données et en troisième sur la disponibilité des données;
  • L’engagement de l’État pour la cybersécurité: la France est 8ème pour l’indice Global cybersécurité, calculé
  • par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT).

La France doit néanmoins remédier à des faiblesses majeures. Ainsi, l’adoption de la transition digitale
reste faible (moins de 20 % des entreprises françaises intègrent l’IA dans leur stratégie), d’autant que les
infrastructures nécessaires ne sont pas pleinement déployées. De facto, le manque de projets d’ampleur
et la moindre attractivité des salaires ne permettent pas à la France d’attirer et de conserver les talents
digitaux. En résulte une pénurie de talents, la France attirant 1,6 fois moins que le Royaume-Uni et 2 fois
moins que les Etats-Unis. Sa capacité à retenir les talents environ 1,5 fois plus faible qu’au Royaume-Uni et
aux Etats-Unis.


Néanmoins, les employés et managers français sont largement volontaires pour opérer la transition digitale,
c’est-à-dire la mise en œuvre des technologies numériques et des méthodes de travail dans les activités d’une
entreprise. 76 % des employés et 89 % des managers se disent impliqués dans la transformation digitale de
leur entreprise, devant les allemands et les anglais.


La digitalisation de l’Etat et des administrations publiques

Lors du Grand débat national qui s’est tenu en France courant 2019, « plus de 1,5 million de Français ont
exprimé leurs fortes attentes vis-à-vis des services publics ». Et 3 mots-clés souvent reliés au digital ont
émergé : le besoin de simplicité, de rapidité et de proximité. Pour répondre au mieux aux attentes des
citoyens, il est donc primordial pour les administrations françaises de repenser la manière dont leurs services
sont livrés aux usagers finaux, et ce notamment, grâce au levier digital. Ce processus de transformation vers
le digital que doit faire aboutir le service public est souvent désigné comme « e-administration », ou encore
« administration en ligne ». Ce mot désigne alors l’ensemble des prestations électroniques qui permettent
aux administrés – citoyens comme entreprises – d’interagir avec l’administration publique simplement, et
directement en ligne. Les citoyens (en France comme à l’étranger) attendent de leurs administrations des
démarches quotidiennes facilitées, et une meilleure qualité de service. C’est bien l’objectif de fonctionnement
de la E-administration: proposer des services digitaux afin de faire bénéficier à leurs citoyens de moyens
simples, efficaces et pérennes pour échanger avec eux. En France, certaines procédures digitalisées
existent déjà. De la demande d’acte de naissance à l’inscription aux listes électorales, en passant par les
changements d’adresse, la dématérialisation des démarches administratives s’intensifie, et elle a commencé
à faire ses preuves dans la simplification de la vie citoyenne.


Mais la France semble encore loin de certains pays très avancés sur le sujet comme l’Estonie par exemple.
En Estonie, dont la superficie n’est pourtant que de 45 000 km² pour 1,32 million d’habitants, une carte
d’identité électronique a déjà été instaurée, et adoptée par près de 98 % de la population. Payer ses impôts,
recevoir ses ordonnances médicales, créer son entreprise, suivre les résultats académiques de ses enfants…
La quasi-totalité des démarches administratives estoniennes sont aujourd’hui réalisables en ligne 24 heures
sur 24 et 7 jours sur 7. La ministre estonienne Urve Palo estime que le pays économise ainsi l’équivalent de
2 % de PIB par an.

Alors bien sûr cela pose la question de la protection des données. Ainsi en 2007, en pleine crise avec la
Russie, le pays a été victime d’un piratage de grande ampleur qui a perturbé pendant plus de deux semaines
le fonctionnement des sites institutionnels, des banques mais aussi des médias. L’Estonie a depuis fait de
la cybersécurité une priorité. Avec le développement du numérique sont apparus de nouveaux risques, liés
notamment à l’utilisation frauduleuse des données personnelles des administrés.


Leur gestion et protection devient donc clé dans le maintien et le renforcement d’un rapport de confiance
entre l’administration et les usagers.

Au delà des citoyens, l’intérêt de l’e-adminitration est aussi très important pour les entreprises qui voient
dans cette digitalisation des pratiques un moyen considérable de faciliter l’ensemble des démarches qu’elles
doivent entreprendre à chaque étape de leur développement, pour pouvoir au final gagner en compétitivité.
De nombreuses demandes sont déjà réalisables en ligne de manière unitaire, comme les déclarations de
chiffres d’affaires ou les déclarations préalables à l’embauche, minimisant ainsi les déplacements et l’envoi
de courriers aux administrations concernées. Mais ces première réponses digitales restent encore à être
approfondies
.

La révolution numérique est devenue une opportunité de meilleur service rendu aux citoyens tout en gagnant
en efficacité. L’administration s’est ainsi engagée dans une modernisation de ses process et outils. C’est
l’objectif du programme national « Action publique 2022 » autour de 3 points principaux :

  • Améliorer la qualité des services publics,
  • Offrir un environnement de travail modernisé aux fonctionnaires
  • Maîtriser les dépenses publiques en optimisant leurs utilisations.
    La transformation de l’Etat est donc très attendue par les citoyens qui souhaitent que les services publics
    l’aident et lui apportent plus de valeur ajoutée dans son quotidien. Repenser la dématérialisation autour du
    citoyen nécessitera à l’administration de redéfinir les contours de son action autour de la création de valeur
    et de lien plus authentique.

Comment faire émerger une filière numérique européenne forte ?

Face à la polarisation de la filière numérique autour des Etats-Unis et de la Chine, une stratégie doit être
érigée à un niveau européen. Afin de créer les champions européens et français du numérique, aller jusqu’au
bout par des investissements massifs est la clé. Les Etats-Unis assurent un volume de capital-risque 3,4
supérieur à l’Europe, et la Chine un investissement par start-up 5 fois supérieur. En outre, les start-ups
chinoises et américaines ont accès à un marché intérieur unifié et large, à des consortiums industriels et
créent un effet d’entraînement sur les entreprises.

La France ne sera capable d’assurer une place sur le numérique que si elle renforce sa capacité à s’appuyer
sur un marché européen unifié et large. Soutenir une telle stratégie européenne est donc essentiel.

Le numérique, au même titre que la Défense (les deux domaines se recouvrant d’ailleurs à travers les sujets
de cybersécurité et d’objets connectés), représente un enjeu de souveraineté pour la France et l’Europe,
qui se trouvent désormais sur ces deux domaines à la croisée des chemins tant sur le plan économique que
géopolitique.

En l’espace de quelques années, l’expression « souveraineté numérique » utilisée à l’origine pour évoquer les
risques émergents de « vassalisation » technologique de l’Europe par des sociétés américaines ou chinoises
est devenue un sujet politique majeur. A mesure que les technologies numériques se développent dans
l’ensemble des champs de l’activité économique et politique de nos sociétés, elles modifient les dynamiques
de pouvoir entre les acteurs privés et les États et entre les États eux-mêmes. Les instruments de la
souveraineté des États sont ainsi indiscernables des outils de la puissance technologique. Les États-Unis
et la Chine font très largement la course en tête dans les domaines de l’Intelligence artificielle (IA), du
numérique, de la robotique et de la domotique depuis plusieurs années grâce à une stratégie affirmé. Ils ne
dissimulent d’ailleurs pas leur volonté d’utiliser leurs champions du numérique pour asseoir leur domination
économique, militaire, géostratégique et leur souveraineté numérique.


La mise en place du Centre européen de compétences industrielles, technologiques et de recherche en
matière de cybersécurité va dans ce sens. Envisagé comme un organe de formation autant qu’un organe
consultatif, ce centre permettrait de fédérer les acteurs de la recherche, les industriels et enfin les éditeurs
de solutions, de manière à faire éclore des pépites compétitives à l’échelle mondiale.


Sacha GAILLARD
Maire-adjoint Ville de Saint-Cloud
Président-fondateur d’EspriTerritoires
Chef de Projet Digital


– Les Entretiens de Royaumont 2021 –