Depuis quelques mois maintenant qu’a eu lieu le premier confinement, on ne compte plus les innombrables unes qui paraissent dans la presse écrite ou en ligne, généraliste ou spécialisée, sur les envies de campagne des parisiens et plus globalement des habitants de la métropole. Après le fameux exode rural qui a eu lieu depuis la moitié du XIXème siècle jusqu’au XXème dans notre pays, il semble que la crise ait mis le feu aux poudres d’un nouvel exode, mais citadin celui-ci. Il suffit justement de taper les mots-clés Exode citadin dans n’importe quel moteur de recherche pour se rendre compte du phénomène qui est en train de se produire : Ces citadins qui veulent s’installer à la campagne après le confinement titre le Figaro, Face au Covid-19, ces citadins qui font le choix de la campagne abondent Les Echos, Va-t-on vers un exode urbain ? s’interroge pour sa part France Culture. Alors que l’exode rural poussait les paysans vers les villes dans un espoir notamment d’amélioration des conditions de vie, l’ironie veut que leurs descendants fassent maintenant le chemin inverse pour le même motif.
Toutefois, bien que cette crise sanitaire ait servi d’événement déclencheur pour de nombreuses prises de conscience, l’aspiration à la province était déjà bien présente auparavant. Déjà, en 2018, un sondage de l’institut OpinionWay indiquait que 55% des 28-45 ans songeaient à y déménager. Ce sont près de 70% d’entre eux qui envisageaient de le faire dans un délai de 5 ans. Du côté du site de recrutement cadremploi, qui interroge tous les ans les cadres sur leurs velléités de départ de région parisienne, le constat est sans appel : 8 cadres sur 10 sont prêts à quitter Paris pour une ville moyenne ou une autre métropole (2019). Ces chiffres sont accablants et ne permettent d’aboutir qu’à une seule conclusion : le modèle de développement des villes d’Île de France ne convient plus à ses habitants qui ne s’y épanouissent pas.
Mais ce modèle, quel est-il ?
D’un point de vue juridique, le développement de la région est principalement régi par la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Ce projet porte un double enjeu à la fois national mais également international. International par la volonté qu’il porte de maintenir, voire de renforcer, la position de Paris et sa région au sein des métropoles les plus attractives à l’échelle mondiale. Du point de vue national, l’enjeu était de construire une cohésion plus importante entre les territoires en les reliant davantage entre eux (d’où la construction de lignes de transports en commun supplémentaires), et en construisant une offre supplémentaire de logements. Là encore, ironie de l’histoire d’un pays qui prêche à tout va la décentralisation tout en donnant à une région les moyens d’un développement qui décrochera les toutes les autres, mais passons.
L’article 1 de la loi de 2010 stipule l’exigence faite aux communes de construire tous les ans 70 000 logements supplémentaires dans la région tout en maîtrisant l’étalement urbain. Comprenez donc en hauteur, ce qui entraîne une densité croissante. Dans sa volonté de sur-densifier la région, le législateur n’a pas anticipé les effets secondaires de la sur-densification, et les conséquences de celle-ci. Il ne suffit pas de construire à volonté des logements pour que des ménages acceptent de s’y installer. Il faut que le cadre de vie offert soit à la hauteur des aspirations liées à l’époque.
Autrement, il n’est pas dit que la population augmentera avec l’offre supplémentaires de logements. Selon l’Insee, entre 2012 et 2017, donc après l’entrée en vigueur de la loi, 26 698 logements supplémentaires ont été construits à Paris. Dans le même temps, la ville perdait 53 000 habitants. Dure réalité que celle de la main invisible qui s’impose une fois de plus à la bureaucratie d’Etat : les Parisiens n’acceptent donc pas d’être entassés les uns sur les autres dans des cages à lapins et quittent la ville.
En plus, le développement du télétravail incite les entreprises à reprendre et à approfondir le mouvement de revue de leurs politiques immobilières, qu’elles avaient pour certaines entamé avant la crise. Les mètres carrés coûtent aussi cher pour les entreprises que pour les particuliers, sinon plus dans le cadre de certaines zones d’activité telles que la défense, et l’immobilier est un levier permettant d’économiser facilement sans avoir à recourir aux coupes dans les effectifs. Si elle venait à s’approfondir et à se généraliser, cette réflexion pourrait à terme libérer dans les villes des espaces jusqu’à présent occupés par de l’immobilier de bureaux. Elle mettrait également un frein au schéma traditionnel de développement économique qui voulait que les villes attirassent les sociétés et sièges sociaux en nombre pour y trouver les moyens du financement de leurs services.
Le paradoxe de la politique néfaste de sur-densification induite par la loi de 2010 est qu’elle s’impose aux maires qui doivent de plus en plus adopter une posture d’équilibriste entre les exigences de construction imposées par la loi, et des électeurs de plus en plus mécontents face à cette sur-densification. Un certain nombre d’entre eux s’est retrouvé en porte-à-faux et a subi les critiques liées à la disparition de quartiers pavillonnaires anciens. Nombre d’associations locales se constituent pour faire face à ces grands travaux qui perturbent la tranquillité des voisinages et détruisent le patrimoine régional. Le résultat a été que lors des municipales 2020, le mot « vivre » était parmi les plus utilisés au niveau national comme au niveau régional dans les noms de listes, et était souvent précédé de « bien ». Comme un cri du cœur de citoyens face à la densification à grande vitesse de leurs communes.
Quel nouveau modèle de développement pour les villes en Île de France ?
Nous vivons dans une époque où les grandes entreprises qui prospèrent, GAFAM en tête, ont pour point commun d’avoir mis le consommateur au cœur de leurs stratégies. Elles ont développé leurs offres autour de lui, et les adaptent toujours plus à ses attentes. Sans pour autant tomber dans un rapport prestataire/client, cette approche dite « customer-centric » doit inspirer nos villes dans le développement de nouveaux modèles « citizen-centric ». Prenons en compte les aspirations des citoyens et sortons des schémas de développement traditionnel. Allons au-devant de leurs attentes et proposons-leur des alternatives porteuses de valeurs !
Les sondages qui sont régulièrement faits auprès des actifs sont assez explicites quant à leurs insatisfactions : le coût de la vie et l’éloignement avec la nature sont les principaux griefs des franciliens contre leur région selon Cadremploi. Ils associent la ville à la pollution, au stress et aux embouteillages. Si les marges de manœuvre sur le coût de la vie sont réduites au niveau municipal, les villes peuvent toutefois se repenser pour traiter du sujet de l’éloignement et du rapport à la nature, sujet phare de notre époque (comme en témoignent d’ailleurs les poussées électorales des verts dans les grandes villes de province). Il faut permettre aux villes de se réapproprier leur territoire pour en faire autre chose que des programmes immobiliers titanesques.
Augmentons la part des espaces verts dans nos villes pour qu’elles aient toutes à disposition un ou plusieurs poumons verts, nécessaires pour le bien-être des citoyens. Diminuons le minéral là où c’est possible pour végétaliser un maximum d’endroits et recrutons des jardiniers et paysagistes pour allier l’objectif social à la cause environnementale. Mais l’aération de nos villes doit aller encore plus loin que cette végétalisation qui figurait déjà dans nombre de programmes lors des dernières municipales (faute d’être appliquée). Revoyons nos exigences architecturales lors de la délivrance de permis de construire. La course effrénée vers le toujours plus haut a comme effet pervers d’écraser les habitants des villes qui ont de moins en moins de vue sur le ciel. Donnons également à voir du beau aux franciliens. Ne permettons plus la construction d’immeubles sans charme ni cachet, qui participent à des cycles de démolition reconstruction coûteux pour l’environnement, mais construisons des immeubles donnant à voir des façades de cachet. Mettons en valeur notre patrimoine local en prenant soin de nos pavillons et immeubles de style traditionnel. Il n’y a pas de raison pour que nous devions nous conformer à un style architectural et un aménagement urbain laids, oppressants et déshumanisants.
Bien sûr, la tâche est ardue et ne pourra pas être menée à bien sans un big-bang normatif. Tel big-bang qui d’ailleurs ne repose pas que dans les mains des collectivités locales, mais également dans celle des plus hautes sphères de l’Etat. Il est néanmoins nécessaire, car il est porteur de valeur pour nos cités. Une municipalité qui saura répondre à ces attentes attirera mécaniquement une population en recherche de ce bien-vivre élémentaire, qui s’établira sur le territoire, s’y enracinera et fera prospérer les commerces locaux. Faisons de la ville un endroit où l’on veuille vivre et non plus un endroit que l’on subit, en attendant l’occasion d’aller en province : c’est le sens du développement des villes, et le défi pour ce siècle.
Romain CHERRIER
Candidat aux municipales 2020 sur la liste Vivre Issy Pleinement
Issy-les-Moulineaux
Sacha GAILLARD
Adjoint au maire
Ville de Saint-Cloud
Président-fondateur d’EspriTerritoires
C’est un article prémonitoire et extrêmement visionnaire. La vie à la campagne, c’est une illusion, la ville c’est la vie, il ne faut pas l’oublier trop vite!
Gilles VUILLEMARD